Chevauchant à toute vitesse, Shaara sentait le vent siffler contre sa joue. Elle n'avait pas froid. Elle était devenue insensible à ce genre de sensations typiquement impures. Les "impurs" étaient pour elle, toute personne n'ayant pas accepté de servir la Pierre et, bien évidemment, la population totale de Keiter ne faisait pas exception. Tous. Ils devaient tous périr!

Elle galopait sur un petit chemin de terre, dégoté au hasard de ses errances, et qui se dirigeait approximativement vers le nord. D'après ce qu'elle avait retenue, les généraux campaient à quelques kilomètres du fort qu'elles -elle et Soloa- avaient croisés quelques temps après leur débarquement, non loin des plages où ils les avaient laissées.

De là, ils étaient censés mener l'attaque contre ce premier bastion des forces de Keiter et le raser avant le retour des éclaireurs, retour imminent à l'heure actuelle.

Le soleil était caché derrière les nuages hivernaux et le froid du crépuscule commençait à faire givrer plantes et autres petits organismes. Le tapis de neige fine qui s'étendait à perte de vue dans les bois reflétait admirablement les derniers rayons de soleil de cette -trop- courte journée, tandis que le ciel se teintait de rose et de pourpre avec de très légères nuances d'orange, offrant ainsi un spectacle de toute beauté... pour qui savait l'apprécier.

Shaara ne voyait pas tout cela. Elle ne pensait qu'à sa mission et aux futurs carnages à venir. A tout ce sang qu'elle allait faire couler pour la Pierre, à tous ces cris, ces pleurs dont Elle allait se délecter, à toutes ces âmes qu'Elle allait dévorer. Elle était le messager de cette terreur. Un véritable porteur de la mort passée, présente et surtout future.

Les soufflements rauques de "Pristule" la sortirent de son délire pour la ramener à la réalité. Le soleil avait presque entièrement disparu à l'horizon et les ténèbres hivernales s'empressaient de recouvrir de leur manteau le paysage alentours.

Au vu de l'état de sa monture et de l'heure déjà avancée, Shaara jugea qu'elle avait parcourue une plus grande distance qu'elle ne s'y attendait. Mais l'étalon montrait des signes de faiblesse aussi lui fit elle ralentir sa course effrénée.
Elle sauta souplement à terre et prit les rênes. Loin d'être heureuse de ce ralentissement forcée, elle pestait haut et fort contre la "foutue saloperie débile qui l'accompagnait" mais elle ne pouvait pas le tuer car elle avait encore besoin de celle-ci. Ce qui l'énervait encore plus. Des pulsions meurtrières la parcourait et alimentait celles déjà impressionnantes de la Pierre.

Croiser son chemin revenait actuellement à se condamner à une mort certaine:
-Tuer...Tuer! TUER!

Son esprit résonnait de ces mots tandis qu'elle tirait la bête effrayée sur un petit chemin de terre en direction du nord.

Plusieurs heures plus tard, le cheval ayant repris des forces et les pulsions ayant été apaisées sur un lapin aussitôt englouti, Shaara atteint le sommet d'une colline surplombant, se rappelait-elle, le fort censé être rasé à cette heure avancée de la nuit.

La bête peu habituée à parcourir autant de kilomètres en si peu de temps était couverte de sueur, au bord de l'épuisement, l'écume aux lèvres. La laissant là où elle était, elle parcourut les derniers mètres et, agenouillée sur l'herbe détrempée, constata avec stupéfaction que la bataille était toujours en cours.

C'était impossible! Ce fort était trop petit pour résister aux assauts de l'armée qui avait débarquée quelques temps auparavant! Et pourtant, les nombreux cadavres de gobelins qui jonchaient la vallée en étaient une preuve plus que suffisante. De plus, on entendait encore le choc des lames en contrebas. Cependant les gobelins avaient quand même mis à mal les défenses humaines. La porte principale avait été enfoncée et un des murs d'enceinte ne protégerait dorénavant plus grand chose au vu du trou béant par lequel s'engouffraient les créatures.

Celles-ci avaient commencé à envahir la cour, repoussant les soldats ennemis vers les bâtiments. Il restait environ deux cents gobelins et sans doute moins de cent humains. Bien qu'avec un peu de retard, l'invasion allait prendre pied sur Keiter.

Toutefois, Shaara espérait retrouver les généraux à cet endroit, maîtres du fort depuis un certain temps. Le fait qu'elle doivent encore pousser la bourrique qui lui servait de monture sur les routes aurait pour conséquence qu'elle devrait continuer à voyager jusqu'aux premières lueurs de l'aube et que la bête allait sans doute claquer si elle continuait à ce train là. Hors malgré les fréquentes haltes, ce moyen de locomotion était plus rapide que ses propres jambes. Elle allait donc devoir ralentir l'allure.

Un dernier regard à l'avant poste où la bataille s'éternisait et elle se releva, fit demi-tour et grimpa sur la bête épuisée avant de la forcer à reprendre un petit galop sur la route.

L'aube se levait maintenant sur les plages de Keiter. Les premiers rayons de soleil frappèrent les vagues dont le mouvement était maintenant audible pour Shaara.

Elle y était enfin arrivée. La forêt avait rapidement laissée place à une petite plaine, puis aux dunes et le cheval progressait avec plus de difficultés dans le sable friable.

Elle déboula au grand galop sur la plage avant de stopper nette devant les vagues. Les embruns marins vinrent la frapper de plein fouet et un vent frais soufflait sur son visage mais elle détourna la tête, cherchant plutôt à situer le camp des généraux. Elle ne devait pas perdre son temps à partir dans le mauvais sens.

Cependant, aucune fumée de feu de camps ou autres ne lui indiqua la présence de celui-ci. Évidemment les généraux avaient tout fait pour ne pas être repérés par les impurs qui peuplaient ce continent. Elle même ne savait pas où ils se trouvaient.

Elle avait beau regarder dans tous les sens, rien. Pas l'ombre de leurs traces. Peut-être avait elle débouchée vraiment loin... Ou peut-être n'étaient ils pas sur la plage elle même. Remontant sur les dunes afin de prendre un peu de hauteur, elle continua de scruter l'horizon, cherchant à se repérer.

A tout hasard, elle partit vers l'est.



Elle galopa encore environ une heure avant de les apercevoir. Des tentes! Des tentes parfaitement camouflées, cachées dans un creux au milieu des dunes. Elle sauta au bas de sa monture et s'approcha prudemment. Bien qu'elle ne voyait pas qui d'autres pouvait venir cacher une tente ici, on était jamais assez prudent.

Ce qu'elle vit confirma ses pensées. Un chérubin plutôt baraqué sortit de l'une des tentes. Sa peau gris clair presque blanche indiquait clairement son appartenance à sa race. Il avait de longs cheveux noirs, des oreilles légèrement pointus, des yeux verts émeraude lui conférant un regard de chat et une armure adaptée à sa carrure qui ne l'empêchait pas de se mouvoir le moins du monde. Dans son dos pendait une épée à deux mains que même elle aurait eu du mal à soulever dont la garde était ornée d’un fragment de Pierre.

Elle en était sur maintenant. Elle les avait trouvés. Elle s'approcha d'avantage en marchant normalement cette fois ci. Sa mission allait enfin être remplie. Arrivée à sa hauteur, elle s’agenouilla.
-Mes respects Général.

L’homme ne lui jeta même pas un regard. Il continua plutôt de marcher vers une autre tente dans laquelle il disparut pendant quelques secondes avant de ressortir suivi d’une femme. Son petit manège dura quelques tentes encore, puis il revint vers elle accompagné de quatre chérubins en tout. Shaara qui n’avait trop su comment réagir était resté à genoux.
- Relève-toi chérubin. Ce qu’elle s’empressa de faire Qui est tu et que veux-tu ?
- Mon nom est Shaara Teh de la famille Sla. Je suis ici pour vous faire le rapport de notre mission.
- Une mission vraiment ? Serais tu l’une des deux éclaireuses que nous avons laisser ici il y a de cela quelques mois ?
- C’est exact mon général.
- Où est l’autre ?
- Nous avons pensé qu’une seule de nous parviendrait ici plus rapidement d’autant que nous n’avions qu’une seule monture… Mon général.
- Bien alors qu’avez-vous vu ?

Shaara réitéra son rapport, retraçant du bout de sa lame la carte de Keiter. Elle y inclut également celui de Soloa. Lorsqu’elle se tut, les généraux étaient penchés sur son schéma et elle en profita pour les détailler un peu plus. Ils ne différaient en rien des autres chérubins si ce n’était par leur titre. Peaux grises presque blanches ou plus mates. Leurs cheveux étaient noirs, blancs et même si l’une des femmes semblait faire exception par sa chevelure rousse, celle-ci avait perdu de son éclat et tirait maintenant sur le brun. Chacun avait une couleur d’yeux inhumaine. Tout comme ceux de Shaara étaient gris métallique et ceux de Soloa orange flamboyants, les leurs adoptaient les couleurs les plus inattendus : vert émeraude, rouge sang, bleu ciel… Enfin, tous portaient une armure noire imposante, celles des femmes étant légèrement plus légère et tous arboraient fièrement leur Pierre que ce soit dans un bouclier, une lame, une armure ou un pendentif.

Enfin, le
colosse qui lui avait parlé et qui semblait être leur chef –même les chérubins
ont besoin d’un minimum de hiérarchisation pour mener une bataille à bien- se redressa :
- Vous avez bien travaillé. Ces informations vont nous
permettre de mieux préparer notre invasion. Cette île... Velor, semble être une excellente opportunité. Loan !

La femme aux cheveux « roux » s’avança de quelques pas et Shaara put voir qu’elle était armée d’un glaive et qu’un bouclier de métal luisait dans son dos sous le soleil du petit matin.
- Tu t’en charges. D’après ce qu’on sait, tu devrais pouvoir t’en occuper toute seule. Emmène quand même deux soldats avec toi et débrouilles toi pour que personne ne quitte cette île pour donner l’alerte.

La dénommée Loan opina du chef et rentra dans le rang. Une telle discipline étonnait Shaara. Elle était habituée aux nombreux combats qui opposaient les chérubins pour un oui ou pour un non. Sur Sal, parler à quelqu’un de cette façon pouvait presque déclencher une guerre civile, la Pierre y étant généralement pour beaucoup.
- Bien. D’après Reïss, l’avant poste est sur le point de tomber mais cela nous aura demandé plus de la moitié des gobelins. Il faudra l’y rejoindre et que quelqu’un prévienne Irvin de déplacer les troupes là-bas. Se redressant, il s’adressa à Shaara. Toi ! Est-ce toi qui as examiné cette cité là, Elindor ?

Le ton de ce chérubin ne lui plaisait pas mais elle ne pouvait pas faire autrement que de lui répondre :

- Oui mon général.
- Tu serais donc capable de nous y mener ?
- Oui général.
- Parfait. Notre position actuelle se situe à peu près ici. Dit-il. Et les troupes de chérubins sont un peu plus au sud-ouest, dans la forêt, afin de ne pas se faire repérer trop vite. Apparemment tu sembles disposer d’une monture rapide. Je veux que tu ailles me chercher ces soldats et que tu les ramènes au fort. Normalement, un des nôtres, le général Irvin est en charge de surveiller tous ces chérubins. C’est à lui que tu devras t’adresser. Liquidez tous les humains que vous rencontrerez, pas de témoins ! Des questions ?

Non elle n’avait pas de questions. La seule chose qui lui importait c’était que l’attaque de ce continent était lancée. Les chérubins allaient déferler sur Elindor et tous détruire. Lorsque ce continent serait devenu leurs, les Sal Dah seraient alors en mesure de liquider une bonne fois pour toutes leurs opposants du clan Nei Dah et ils reprendraient possession de leurs terre. L’homme la congédia d’un revers de main tandis que Loan partait à pieds avec deux des quelques chérubins qui montaient la garde autours du camps.

Shaara s’inclina rapidement et s’élança vers sa monture jugeant qu’elle s’était suffisamment reposée. Elle la relança dans la direction indiquée un peu auparavant dans l’espoir que les soldats n’étaient pas trop loin.

Elle fouillait la forêt depuis un certains temps déjà et cela l'agaçait sérieusement. Il lui avait dis au sud-ouest... Certes mais où au sud ouest? Sa rage continuait de croître. Comment une armée de près de trois cent soldats pouvait elle se camoufler aussi astucieusement. Elle n'eut pas le temps de poursuivre ses délibérations, quatre hommes l'encerclèrent en la menaçant de leurs sabres... Ils parlaient parfaitement chérubins.

Quelques instants plus tard, elle et sa monture pénétraient dans le camp. Situé en plein coeur de la forêt, il était idéalement placé: partir au nord revenait à dégringoler une falaise de trente mètres de haut et les autres directions étaient gardées par des groupes d'environ une dizaine d'hommes. On lui indiqua rapidement la tente et elle s'avança parmi tous ses frères corrompus. Elle était revenue chez les siens après plus d'un an d'absence... Aucun sentiment particulier ne l'envahit lorsqu'elle croisa le regard de certains d'entre eux.

Le général Irvin possédait une tente basique ressemblant en tout point à celle des autres soldats à la différence près qu'il y dormait tout seul. Elle mit pied à terre et dut menacer d'un grognement sourd les chérubins qui salivaient déjà sur sa monture. Finalement elle l'emmena avec elle. Elle dut de nouveau s'humilier en s'agenouillant devant l'homme qui commandait cette armée:
- Relève toi chérubin.

Elle avait la forte sensation d'avoir déjà entendu cette phrase quelque part. L'homme qui se tenait en face d'elle était sans doute le chérubin le plus étrange qu'elle ait jamais vu. Non pas au niveau de l'apparence, il ressemblait à tous ses concitoyens à ceci près qu'il avait des yeux violets et qu'il n'était pas spécialement musclé. L'étrangeté venait d'abord du choix de son arme: une faux, ressemblant à celle qu'utilisaient les humains de Keiter. Cependant, la lame faisait dix bon centimètres de plus et il s'en servait pour moissonner les champs de bataille. Mais le plus étrange venait de sa Pierre. Le chérubin avait trouvé la meilleure façon de la conserver éternellement avec lui: la Pierre était incrusté dans son front.
- Que me vaut la visite d'une femme inconnue de mon armée?

Sa voix laissait transparaître une tranquillité d'âme et une sérénité que Shaara n'aurait cru retrouver que chez les impurs. Cependant, la colère et la haine brillait dans ses yeux de la même façon qu'elle brillait dans les siens et dans tous ceux des chérubins qu'elle avait vu à ce jour. Elle répéta pour la troisième fois son rapport, y ajoutant cette fois ci les ordres du général en chef. Il l'écouta attentivement avant de lui dire de se préparer à partir. Montant sur un rocher, il réunit l'armée à grand cris et l'excita dans un long discours dont Shaara ne retint que les mots récurrents: meurtre, sang, vengeance, Sal Dah ainsi que le long cri de guerre des chérubins qui l'écoutaient.

A la tête de l'armée, aux côtés du général, elle ne fut pas surprise de voir que celui-ci allait à pied également. Après tout avoir une monture était exceptionnel pour un chérubin. Malgré cela, il ne la lui réquisitionna pas. L'armée se mit en marche. En marche vers la bataille, en marche vers son destin.

(HRP: Un conseil pour ceux qui n'ont pas encore eu la bonne idée de quitter le fort: dépêchez vous ^^)