Soloa marchait vers le sud, vers Elindor. Le soleil couchant annonçait déjà la couleur de la nuit. Après avoir dévoré une bonne partie de la carcasse de cerf, Soloa était remontée directement au nord pour joindre l'attaque prévue par les soldats chérubins installés dans la forêt. Les attaques du fort Chens et d'Elindor n'auraient que quelques jours d'intervalle, finalement. L'invasion était prévue, désormais grâce aux renseignements de Shaara, s'infiltrer dans la cité serait encore plus simple. Quand elle apprit aux généraux ces informations, un plan simple fut mis en place. Elle fut chargée du groupe le plus dangereux. Cela la satisfaisait.


La cape que revêtait Soloa avait pris des teintes nacrées cette fois-ci. Tous les chérubins qui l'accompagnaient avaient un vêtement identique. Les ordres étaient clairs: affoler, tuer, ne laisser aucun survivant qui ne pourrait témoigner rationnellement.
Le reflet des capes serait de la couleur affolante du feu, et si survivants il y avait, ils ne pourraient que dire "Des démons ! Partout ! Des feux follets !".
Le plan était machiavélique. Un large sourire étira ses lèvres.

Ils arrivaient par le nord, elle et sa vingtaine d'hommes. Ils entraient par les égouts pendant la nuit, armés de torche. Ils tuaient la garde aussi facilement que s'ils s'attaquaient à des pantins de bois. Ils enflammaient tous les bâtiments au sud, à l'est et à l'ouest tandis que les villageois dormaient. Ils ressortaient ensuite par là où ils étaient entrés. Le seul moyen de fuir le feu serait de sortir par le nord: une centaine de chérubins les attendraient là, tous ces civils et idiots. Ou par les égouts, mais Soloa y resterait embusquer jusqu'à qu'Elindor ne soit plus qu'un vulgaire tas de cendres fumantes.
Elle resserra sa main sur la garde de la torche. Le brasier promettait d'être vivifiant !

Trois survivants. Ils n'étaient que trois survivants de leur tentative de fuite: elle, le soldat blessé au bras et une jeune femme qui avait aussi eut le réflexe de grimper aux arbres. Elle les avait retrouvés plus loin dans la forêt, aussi fatigués qu'elle. Maintenant qu'ils arrivaient à Elindor,ils avaient quelques peu accélérés le pas, pressés de pouvoir enfin se sentir en sécurité.

Ils continuèrent d'avancer jusqu'à ce qu'une forte odeur de brulé ne vienne leur chatouiller les narines. Inquiets, ils avancèrent plus prudemment jusqu'à ce qu'une percée dans les branchages leur permette d'apercevoir les immenses volutes de fumées qui montaient vers le ciel. Elindor était en feu.

Immédiatement, le souvenir de l'attaque des gobelins et de l'incendie du fort leur revint à l'esprit et la jeune femme tomba à genoux en poussant un cri déchirant, incapable de retenir ses larmes plus longtemps. Ses deux compagnons l'aidèrent à se relever et Eena continua d'avancer en murmurant plus pour elle que pour l'humaine:
- Ce n'est peut-être rien. Un simple incendie, une bougie renversée sur des draps. La ville n'est pas attaquée, comment les gobelins auraient ils pu faire aussi vite pour nous dépasser sans nous voir.

Des pas se firent entendre, des pas précipités: quelqu'un courait dans leur direction. La méfiance les obligea à se jeter à plat ventre derrière un buisson, dans la neige et le froid. Eena releva la tête juste à temps pour voir passer devant elle une bien étrange créature. Elle avait la carrure et les oreilles d'un elfe mais sa peau était gris cendre et ses cheveux noirs comme la nuit. Elle eut aussi le temps de distinguer l'épaisse armure que la créature portait. Pourtant, elle courait comme si celle-ci ne pesait rien. L'étrange phénomène disparut entre les arbres et Eena se tourna vers les deux humains qui l'accompagnaient:
- Vous savez ce que c'était?

Tout deux répondirent par la négative, les yeux écarquillés par la surprise.
- Restez ici.

Elle sortit de son abri et s'avança silencieusement entre les arbres, son don déployé lui permettait d'entendre le bruit des flammes et les cris des habitants mais également un fort cliquetis de métal qui ne provenait pas de l'intérieur de la cité. Poussée plus par la curiosité que par la peur, elle s'avança en tremblant en direction du bruit et s'arrêta à quelques dizaines de mètres des portes d’Elindor. Sa petite taille lui permit de passer inaperçue mais le doute n'était plus permis. Les portes étaient fracassées en deux et les créatures se ruaient par l’ouverture massacrant les habitants et soldats affolés qui tentaient désespérément de fuir les flammes.

Il était inutile de rester là plus longtemps, si elle ne partait pas, elle rejoindrait les cadavres qui commençaient à recouvrir le sol de la ville. Elle s'éloigna donc aussi furtivement qu'elle était venu en surveillant le moindre mouvement des créatures puis elle rejoignit ces deux compagnons. La nouvelle sembla les atterrer. Où aller maintenant? Il leur faudrait des jours à pied pour rejoindre Avoriaz et ils mourraient surement de faim ou de froid. Mais si ils s'approchaient d'Elindor, ils mourraient dans tous les cas.

Ils s'éloignèrent donc, le moral au plus bas. Les lunes de Keiter projetaient une faible clarté sur leurs têtes. Les bruits du combat et les hurlements d’agonie résonnaient encore dans l’esprit de la muse qui laissait ses jambes la mener au hasard. Finalement leurs pas les menèrent suffisamment loin d'Elindor et ils décidèrent de se reposer dos à une souche. Le froid frigorifiant leur faisait claquer des dents et leurs avenirs n’étaient vraiment pas souriant.

Les chérubins approchaient à grand pas de la cité elfiques. Les généraux les avaient rejoints beaucoup plus vite que prévu et sur ordre de leur chef (dont elle ne connaissait toujours pas le nom), ils s'étaient immédiatement mis en route, gobelins et chérubins. Les gobelins en direction d'Avoriaz afin d'intercepter d'éventuels renforts mais surtout dans le but d'affaiblir les défenses d'une des plus grandes villes de Keiter et de détourner l'attention de celle-ci d'Elindor.

D'après le commandant, ils avaient envoyés Soloa un peu plus tôt pour commencer le massacre avec une centaine d'hommes. Ils n'auraient normalement plus qu'à foncer à travers les portes déjà fracassées, semer mort et terreur parmi les derniers habitants encore en vie, les éradiquer jusqu'au dernier et prendre possession de la ville en éliminant la famille dirigeante de la ville si ce n'était déjà fait.

Ils avançaient rapidement et déjà, au loin ils voyaient un mince filet de fumée montant de la ville en feu. L'excitation de la Pierre était palpable et Shaara était pressée d'arriver. Il y avait si longtemps qu'elle n'avait pas participée à une véritable guerre.




Ils arrivèrent enfin et beaucoup d'entre eux furent déçus. Près de la moitié de la ville gisaient déjà sur le sol tandis que les chérubins de Soloa poursuivaient les derniers elfes dans les ruelles en flammes. La cité entière résonnait des cris de détresses et des appels à l'aide des survivants. Les soldats regardèrent leur général en chef attendant ses ordres.
- Pas de survivants.

Une immense clameur retentit dans les rangs tandis que les chérubins s'engouffraient à leurs tours dans les ruelles de la ville dévastée et que l'espoir quittait le coeur des elfes. Les montures de Reïss et de Shaara furent les premières à pénétrer la cité. Une moitié de la ville avait été éliminée ce qui voulait dire qu'il restait encore une moitié à charcuter.

Les tuer... Tous!! Pristule fendit les flammes et bondit par dessus les poutres qui commençaient à s'abattre sur la chaussée. Autrefois cheval de marchand trouillard, la Pierre en avait fait un parfait destrier de combat plus résistant et rapide. Enfin, elle les aperçut, une famille en train de tenter d'échapper à trois chérubins. Traque-Filasse prit ceux-ci de cours, les dépassa et tranche deux têtes, la troisième s'esquiva dans une ruelle parallèle. Qu'importe, elle saisit son arc, ajusta son tir et abattit sa proie.

Les trois chérubins lui lancèrent un regard dépité mais elle fit demi-tour sans s'en préoccuper, essayant de s'orienter vers le palais, elle voulait être celle qui ferait tomber la ville.

Une torche dans la main droite, un sabre dans la gauche, Soloa entra dans une des dernières maisons debout. A peine eut-elle franchit le pas de la mince porte de bois sombre qu'un cri retentit.

-Godefroy non ! Godefroy !

Trop tard. Un homme armé d'un hachoir de boucher se rua sur la Démone, qui d'un geste rapide para le coup. D'une poussée fulgurante dans son épaule, elle lui atteint le visage de sa torche, et le torse de son sabre. Le jeune fiancé brailla en s'écroulant sur le sol. Soloa tourna la tête vers sa femme, qui sanglotait désormais à côté du corps déjà ensanglanté de son père. Déjà mort. Apparemment, les deux amants l'avaient traînés jusque dans la maison, se croyant à l'abri.
Un grand sourire se dessina sur les lèvres de la chérubin, qui s'approcha d'un pas sur et lent. Elle baissa sa garde et se pencha au dessus de la désormais veuve.

-Pi.... pitié...

La lame remonta le long de la poitrine de l'humaine, s'attardant sur un médaillon puis parcourant le cou jusqu'au menton, en appuyant sans trancher, en inspirant peur sans tuer. Soloa observa un instant la peau pure et blanche, les cheveux bruns en chinion, les yeux hagards. Que de beauté saccagée.
-Quoi ton nom ?
-Que... quoi ?
-Ton nom. Comment toi t'appeller ?
-Je... Eleonora. Je m'appelle Eleonora.
-Joli. Joli.

La sabre transperça la gorge jusqu'à la garde, Soloa fermant les yeux en appuyant de toutes ses forces jusqu'à que l'infime gargouillis disparaisse. Elle ressortit sa lame du corps en évitant soigneusement de croiser le regard maintenant absent de la jeune femme, essuya son arme contre la tunique de son amant dont le visage commençait à brûler à cause du coup de torche, lâchant une odeur atroce dans la pièce richement décorée.
Soloa s'approcha d'une tapisserie à laquelle elle mit le feu, et sortit de la maison.
Suivante.

Le cheval déboula au grand galop sur la petite place devant le château royal, la crinière roussie, l'écume aux lèvres et les yeux aussi injectés de sang que ceux de sa maîtresse. D'un violent coup sur les rênes, elle le fit se cabrer et piler net devant les portes qui achevaient de se consumer dans de splendides flammes d'un vert émeraude. Apparemment, les elfes ignoraient la véritable puissance d'un général possédant la Pierre. De l'intérieur, on pouvait entendre les cris d'agonies et de terreur des civils, tandis que vitres, meubles et tentures étaient mis en pièces avant d'être enflammés.

Craignant qu'il ne soit trop tard, la chérubin sauta à terre, escalada quatre à quatre les marches sans même accordé un regard au pitoyables créatures éventrées qui gisaient sur le sol de marbre. Elle pénétra comme une furie dans le hall et emprunta une porte au hasard. Traversant les couloirs rapidement, elle tomba nez à nez avec un simple serviteur dont le nez brisé répandait le liquide sombre tant convoité sur ses vêtements. Mais ce n'était pas celui-ci qu'elle recherchait, le violent coup de poing métallique qui s'ensuivit assomma l'homme qui ne sentit même pas les lames de ses poursuivants lui déchirer les entrailles. Elle parvint au pied d'une tour qui semblait être le donjon. L'escaladant, elle croisa le cadavre d'un chérubin au cou brisé. Quelle que soit la personne qui se battait là-haut, elle offrait une résistance très intéressante.

Au sommet, le prince héritier, un jeune elfe vigoureux aux longs cheveux blonds et aux yeux d'un bleu éclatant luttait au côté de son père, dont les quelques rides et les cheveux presque gris témoignaient de son âge. Deux soldats les appuyaient contre trois chérubins enragés qui malgré leur force commençaient à faiblir. Les cadavres elfiques qui s'amoncelaient dans la pièce témoignaient du carnage qui s'était produit quelques instants plus tôt. Dans un coin, deux femmes observaient le combat avec anxiété. A leur apparence, on pouvait deviner qu'elles étaient reine ou princesse. Traque-Filasse jubilait intérieurement. Contrairement à Soloa qui était très curieuse pour un chérubin, elle se contentait de faire souffrir les faibles et les impuissants. Rien ne la faisait se sentir autant vivante que ce genre d'expériences. A l'intérieur de son petit pendentif, le Fragment s'illumina d'une forte lueur rouge sang tandis qu'un voile invisible recouvrait la chérubin au regard fou furieux.

Elle sentit une sorte de fraicheur la recouvrir mais la sensation se dissipa très rapidement. La Pierre l'aiderait mais ce don lui coûtait énormément de force. Déjà, ses muscles épuisés par ses longs jours sans dormir la torturaient. Vaillamment, elle entra dans la pièce et passa au milieu des combattants. Tous se retournèrent pour la regarder même pendant une seconde comme s'ils la voyaient mais elle faisait confiance à l'intense brûlure qu'elle ressentait maintenant contre son coeur. Les combattants détournèrent finalement les yeux. Banale, cette personne n'était pas une menace.

Elle arriva à la hauteur des "femelles". Elle peinait à tenir debout et la sueur l'aveuglait mais sa cruauté et sa haine lui redonnèrent des forces et c'est d'une poigne assurée et puissante qu'elle s'empara de la gorge de la reine en relâchant son don. Voyant cette chose inexpressive se transformer en un prédateur redoutable, les yeux de la femme s'agrandirent de terreur lorsqu'ils rencontrèrent ceux emplis de folie de Traque-Filasse tandis qu'un long cri de terreur sortit de la bouche de la princesse. Cri fatal qui détourna l'attention des elfes aussitôt embrochés. Le vieux roi s'écroula dans une flaque de sang et le prince recula mortellement blessé avant d'être décapité tandis que les deux soldats tentaient de faire face.

Plaquant sa proie contre le mur et ignorant ses faibles efforts pour ne pas mourir asphyxiée, Traque-Filasse sortit sa lame et resserra encore sa poigne, empêchant sa victime dont les larmes coulaient à flots de se répandre en faibles supplications. La princesse s'était ressaisit et agrippait maintenant le bras du chérubin avec l'énergie du désespoir. Trop tard! La lame plongea avec un "squish" pitoyable dans le coeur de sa victime. Ses pupilles déjà agrandies par la terreur s'élargirent et se dilatèrent au point d'emplir les yeux, les mains se crispèrent avec force sur l'avant bras du bourreau, le reste du corps se raidit tandis que le sang bloqué dans la gorge glissait en filets le long des lèvres et emplissait la bouche. Enfin, sans bruit, la reine s'éteignit, les bras retombèrent mollement tout comme la tête et Traque-Filasse relâcha le corps inerte, giflant violemment la princesse qui pleurait toutes les larmes de son corps, incapable de prononcer un mot. Celle-ci s'écroula sur le sol quelques mètres plus loin, la lèvre fendue et un énorme bleu se formant rapidement sur sa joue. Derrière, l'un des soldats tomba sans un bruit tandis que le dernier était projeté au sol par trois masses enragées.

Traque-Filasse s'avança, déjà triomphante vers la dernière représentante de la famille royale. Au passage, son poids broya la colonne vertébrale de la reine dans un craquement sinistre et elle ferma les yeux de "bonheur". Lorsqu'elle les rouvrit, sa future victime la contemplait avec rage. Elle la saisit par la gorge dans l'intention de lui faire subir le même sort que sa mère mais celle-ci dans un élan de fierté lui cracha au visage. La folie qui brillait dans ces yeux aurait du l'avertir. En quelques secondes, Shaara repassa dans sa mémoire tous les supplices qu'elle connaissait tous soit trop longs soit pas suffisamment douloureux ni traumatisant: mort par asphyxie, la livrer aux gobelins, la pendre dans les rideaux, lui ouvrir le ventre et la laisser là...

Elle finit par se décider et traina finalement cette poupée de chair au regard de défi à travers la pièce comme un vulgaire paquet. Celle-ci se débattit de plus en plus, à mesure qu'elle voyait la fenêtre se rapprocher. Soulevée à bout de bras au dessus de la tête de son meurtrier, elle hurla toute sa peur lorsque son poids fracassa le verre, lui entaillant la chair. La chute fut longue, très longue et elle rencontra le pavé la tête la première. Le bruit mat informa Shaara que c'était bon. Elle se sentait beaucoup mieux. Essuyant la bave impure qui recouvrait sa joue, elle renversa les flambeaux de la pièce et, avec un dernier regard pour le corps brisé criblé de verre qui gisait dans la cour, elle quitta la pièce suivie des trois autres.