Ylaaga cligna les yeux avant de se les frotter énergiquement de la main gauche, mais rien n'y fit. Elle tenta de les plisser. Aucun effet. Le poignard qu'elle tenait de sa main droite restait irrémédiablement flou, et seules les taches larges de sang qui le recouvrait pouvait se distinguer à travers le brouillard opaque devant ses rétines. Le froid dans son dos, ajouté à cette impossibilité de voir clairement son environnement lui indiquait qu'elle avait été blessée, peut-être gravement. Elle ne ressentait pourtant aucune douleur et ne pouvait apercevoir ne serait-ce qu'une trace de cicatrice ou de coupure, voire même d'entaille sur son corps. Corps à moitié nu, une fois de plus.
Sa tunique courte sentait âcre et fort la guivre, tandis qu'en gouttait un sang noir aux reflets irisés qui allait s'écraser sur le sol boueux.
-Par Dephunia, reposes en paix.
Il fallait se dépecher de prendre ce qui était utile sur le cadavre avant que les carnassiers n'arrivent. Mais avec cette sorte de linceul qui lui couvrait la vue, impossible d'exécuter le moindre mouvement précis. Comment pourrait-elle dépecer la bête sans se couper ou pire ?
Si la peur s'était calmée après la mort de la guivre qu'Ylaaga avait sous les pieds, elle recommença bientôt à se creuser un chemin vers le coeur de la chaman, dont la gorge se serra à l'idée de devoir combattre aussi des carnassiers, combat qui se solderait sûrement par sa mort à elle. L'odeur du sang et de la charogne allait les attirer très vite, et elle en était imbibée.
D'ailleurs, elle les entendait déjà, approcher. Un murmure, un bruissement autour d'elle, dans les fourrés, dans la boue, sous les feuilles.
Sa gorge s'etreignit encore un peu plus, tandis qu'elle luttait pour conserver sa respiration et son équilibre. Trop tard.
Quels étaient les seuls moyens d'échapper aux carnassiers ? Selon son père, en grimpant aux arbres. Soit. Selon son expérience, courir était une mauvaise idée, son premier compagnon en étant décédé. Dévoré.
Elle n'avait pas envie d'être dévorée, c'est pourquoi elle fit un rapide tour sur elle-même en cherchant un arbre solide, qu'elle trouva à cinq ou six mètres. Elle parcourut cette distance en trébuchant, les mains devant-elle, voyant à peine. Puis elle tenta de grimper. Tout d'abord doucement, vérifiant chaque prise, coinçant ses pieds dans chaque branche, à tatons. Puis quand elle entendit en dessous d'elle les grognements caractéristiques des bêtes du marais, elle oublia totalement la prudence et monta selon son instinct, serrant les dents et priant pour ne pas tomber.
Quand la lueur du soleil perça, elle arrêta son ascension pour regarder en bas.

Une vingtaine de bêtes noires, ressemblant à des sangliers, fouinaient autour de la carcasse de la guivre, étendue dans la boue. Ils étaient répugnant, leur pelage inquiétant fourmillant et frétillant d'une matière étrange comme... elle n'aurait pu le dire d'ici. Peut-être des milliers de tiques. Leur longues dents acerées fouillaient dans le corps de la boréale qu'Ylaaga avait tué quelques minutes plus tôt.

Quand les carnassiers s'en allèrent, repus, il ne restait rien du corps de la guivre si ce n'est quelques vertèbres et deux ou trois écailles. Elle qui souhaitait ramener nombre d'écailles pour les vendre sur le marché.

Le froid dans son dos s'intensifia, et sa vue se brouilla plus que de normal quand elle entama sa descente. L'effort la fit souffler, sa respiration haletante brisant le silence des marais.

Elle rata sa prise au niveau du troisième mètre, et s'effondra. La chute fut brutale. Elle perdit connaissance tandis que du sang pourpre et aqueux s'étendait sous sa nuque fragile.

Le silence était affreux, l'obscurité totale. Des nuées d'insectes tournoyaient sans bruit et sans mouvement autour d'elle tandis qu'elle marchait vers un point invisible et inconnu. Un pied devant l'autre, irrémédiablement. L'univers dans lequel Ylaaga progressait était indescriptible si ce n'est cette atmosphère étouffée et tourmentée. Le royaume des esprits? Des morts ?
Cette question aurait été la première à lui venir si elle avait été en mesure de penser ou de réfléchir, mais la chaleur qui irradiait de son front et la contraignait à cligner des yeux devant la sueur qui coulait le long de ses cheveux, sur son nez et dans sa nuque l'en empêchait. La peur prit l'étrangère à la gorge, sa respiration se coupa totalement et alors qu'elle se débattait dans cet océan de noirceur, la douleur la sortit brutalement de sa torpeur.
La lumière fut aveuglante. Elle inspira et expira soudain comme une noyée tirée hors de l'eau, et ouvrit des yeux injectés de sang sur un visage pâle bordé de cheveux roux. Tremblante, Ylaaga écarquilla les yeux, reprenant lentement ses esprits. Le plafond de pierre au dessus et la faible lumière lui indiqua qu'elle se trouvait dans une grotte, dans le monde des vivants. La femme penchée sur elle ne semblait ni orc, ni humaine. Elle ressemblait vaguement à quelque chose d'humain, certes, mais une chose d'une incroyable beauté. Ylaaga ne le remarqua pas, encore plongée dans l'obscurité de la fièvre. Les souvenirs affluèrent.

La torche, utilisée comme source de son pouvoir. Les gerbes de flammes lancées à l'assaut de la gueule du monstre. Le cri qui se tait et s'éteint en gémissement tandis que la torche tombe dans la boue. La dague, leste, qui se plante dans le crâne de la guivre encore hurlante. La douleur dans le bas du dos. Puis dans les reins, dans les jambes. La vision qui se brouille. Les carnassiers, la chute. La fin. Pas d'elfe. Pas d'elfe dans tout ça. Pas d'elfe.

La question vint naturellement, posée sur un ton inquiet, tremblant, presque appeuré.
-Qui es-tu ?
La voix fut même rauque, pourtant faible. Les lèvres d'Ylaaga bougèrent à peine quand elle prononça ces trois mots simples, puis elle expira avec souffrance.
Le froid revint à l'assaut de ses membres déjà engourdis, et la chamane se demanda si la mort était proche, oubliant sa première question. Et comment serait-elle, la mort ? Aurait-elle le visage d'une belle fée ? Cette magnifique humaine penchée sur le corps presque inerte de la chamane serait-elle la Mort ?
Mourir ?

Ylaaga lutta pour ne pas sombrer de nouveau dans le sommeil agité et les délires enfièvrés dus aux blessures, et planta ses yeux dont les rétines tremblotaient dans le regard de l'inconnue.

Toujours le regard planté dans celui de l'elfe -serait-ce une elfe alors ? Les elfes ressembleraient donc à cela ? Elle aurait dû être elfe, elle, Ylaaga. Au lieu d'être cet infâme croisement entre... quelle idée de penser à cela maintenant.

- Je suis guérisseuse, je me nomme Luna. Je quittais les marécages lorsque je t’ai trouvée, baignant dans ton sang. Alors je t’ai amenée ici, en sécurité afin de te soigner. Tes blessures sont nombreuses, mais tout porte à croire que si tu survis à cette nuit, tu t’en sortiras. L’idéal serait que tu manges un peu de ce bouillon, afin de reprendre des forces. T’en sens-tu capable ? Et est ce que tu te souviens de ce qui t’es arrivé, de qui tu es ? Tu as une importante blessure à la tête, c’est pour çà que je te pose la question. Oh bien sûr, tu n’es pas obligée de répondre en détail, dis-moi juste comment tu te sens.

Alors ainsi, elle ne serait donc pas la mort ? Ylaaga ferma les yeux, repoussant la douleur qui lançait des assauts répétés vers son crâne. Ylaaga pouvait survivre, ce n'était pas la fin.
D'autres souvenirs affluèrent. Elle tenta de les chasser, mais elle n'y parvint pas et, sous l'effet du venin encore vivace de la guivre, elle ne risquait pas d'y parvenir. Des volutes de fumées s'entremêlèrent dans son esprit. Luttant contre la douleur par la douleur, elle rehaussa sa tête de quelques centimètres, au prix d'un effort qui lui coûta un gémissement faible, puis rabattit violemment son crâne contre le sol de pierre. Des tâches noires dansèrent devant ses yeux alors qu'elle les rouvrait, mais ses pensées se calmèrent.
Elle attendit encore un instant qui lui parût une éternité et tenta de répondre.
-Je... me sens... agréablement bien. Une sorte... de..., sa voix s'éteignit le temps qu'elle reprenne sa respiration, béatitude. Certes l'ironie n'était pas fortement conseillée dans ces cas là, mais Ylaaga trouva que cela tombait à point. Cela aurait été conscient qu'elle aurait souhaité pousser des sarcasmes avant sa mort. Malheureusement, elle ne mourrait pas ainsi, elle le savait. Si la nuit était tombée depuis bien longtemps, alors le venin se dissiperait dans les heures suivantes et de nouveau elle retrouverait ses moyens. Si celle-ci venait à peine de tomber, alors elle serait longue et douloureuse et au petit matin, tout irait mieux. C'était une question de temps. Les blessures qu'elle possédait sur le corps étaient bénignes, elle les sentait. Du moins, si la douleur était insupportable, elle était présente et donc il ne s'agissait pas de quelque chose d'aussi grave qu'une amputation ou quelque autre horrible suppression d'organe.
-Je suis aussi... guérisseuse, parvint-elle à dire après plusieurs essais ponctués d'inspiration saccadées, même si ça m'sert... à rien... là.

Ylaaga tenta de faire un sourire qui dut plus ressembler à une grimace douloureuse, et recommença son geste inutile: lever sa tête et l'aplatir contre le sol rapidement. Ses cheveux englués de sang noirâtre retombèrent sur la pierre tâchée.

-Le... bouillon. Là... votre bouillon... je... veux bien.

Bonjour, bonsoir;
Ce rp n'a toujours pas reçu de réponse. Le dernier message date du 29 décembre et nous sommes le 16 janvier. De plus, le membre Luna Saül impliqué dans le post ne s'est pas reconnecté depuis le 29 décembre à 12h27. N'ayant pas posté dans Absences, je compte cela comme de l'inactivité. Il y a eu un avertissement par mail. Si ce post n'est pas continué à la suite dans la semaine à venir (auquel cas ce message disparaîtra), le PNJ sera forcé d'intervenir.

Merci.

Luna approcha le bol de la blessée et lui en versa petit à petit le contenu dans la bouche.
Cette potion devait l'aider à retrouver un peu de force. Pas assez pour qu'elle puisse courir un cent mètres haie dans l'heure qui allait suivre, mais suffisement pour lui permettre de se lever. De plus, le bouillon odorant était composé de certaines herbes aux vertus cicatrisantes qui ne pourrait qu'aider au rétablissement d'Ylaaga.
Quand le bol fut vide, Luna le reposa à côté d'elle et regarda intensément le visage de sa 'patiente'.
Elle connaissait bien les effets de la potion pour l'avoir elle-même utiliser plusieurs fois lorsqu'elle se blessait en milieu plus ou moins désert d'habitations, et donc d'hommes capables de l'aider. Le plus gros avantage de la mixture était sans conteste la disparition instantanée de toute forme de douleur. Bien sûr ce n'était qu'une illusion sensitive, un peu comme la morphine, mais elle permettait néanmoins d'oublier la douleur pour un temps, le temps de rejoindre un village où se reposer par exemple.

"-Tu te sens mieux? Je suppose que tu as envie de te lever mais je te conseille d'attendre un peu. Ton corps est encore très faible même si tu ne ressens plus la douleur."

La respiration d'Ylaaga s'était faite plus régulière et Luna en conclut que la potion faisait son effet.