L'infirmerie du poste de garde, petite pièce carrée où s'entassaient une demi-douzaine de lits était située dans une petite aile reculée, offrant un relatif calme et un encore plus relatif confort aux malades.
Au fond de la pièce, un des lits avait ses rideaux tirés, signe qu'il était occupé. A l'intérieur dormait - ou du moins essayait de dormir - une jeune femme rousse dont la peau claire semblait encore plus pâle que d'ordinaire, donnant à la pensionnaire un air de fantôme. Et il s'en était fallu de peu que ce ne fut réellement le cas.

Sous les paupières agitées de la belle endormie défilaient des images confuses, mélange de cris, d'odeur de poudre, d'ordres, de meurtres. Lentement dans son esprit se reformaient les derniers évènements. Elle se revoyait avec un soldat mais il n'était pas là pour la protéger. Elle était Mage. Une Mage très douée même, mais elle avait besoin d'un feu pour alimenter son pouvoir et en cela était limitée. Le pauvre homme fut donc relégué au poste de porte-torche. Accompagnée de ce soldat, elle revit les gobelins déferlant sur le poste, elle sentit de nouveau le flux de pouvoir affluer dans ses veines et jaillire de ses mains ouvertes, paumes en avant, sous la forme d'énormes jets de flammes qui carbonisèrent aussitôt leurs assaillants. Elle entendit des cris, des pleurs, des bruits de chutes.
Puis plus rien. Il n'y avait jamais de suite dans ses rêves.

Encore une fois, elle se réveilla dans la douleur. Son ventre était entièrement pansé, et bien que renouvellé plusieurs fois par jour, le tissu de couleur d'origine blanche était taché de sang en permanence.
Kalena passa une main gelée sur son front en sueur et le dégagea des quelques mèches rousses qui étaient venues s'y coller. Elle ne savait pas trop si elle devait se réjouir d'être en vie. Autant qu'elle pouvait en juger, elle avait été transperçée - sûrement pas une épée donc - et bien que cette dernière eut la bonne idée de ne toucher aucun de ses organes vitaux, elle était actuellement clouée au lit et souffrait le martyre. Et si elle ne pouvait plus jamais marcher? Elle ne sentait plus son dos, et la simple idée de rester immobilisée à vie la terrifiait.
Kalena était une fille active, battante, faite pour l'action et le combat, pas pour rester allonger comme une vieille édentée.
Encore une fois, elle essaya de se lever, en vain. Une larme de frustration vint s'écraser sur son oreiller après avoir laissée une trace humide sur sa joue. Serrant les poings à s'en enfoncer les ongles dans la paume de la main, elle hurla. Elle hurla d'un cri puissant et rauque, presque un râle. Elle expira toute sa haine, toute son impuissance. Se sentir inutile était l'une des pires choses qu'il ne lui soit jamais arrivé. Elle s'étonna même qu'on ne l'ai pas déjà achevé.

Quelqu'un...Je veux que quelqu'un vienne et finisse le sale travail de ce gobelin puant! Vite! TUEZ MOI! Je n'en peux plus...

Un couloir. Un escalier. Une porte. L'infirmerie. Floradel se retrouva sur le seuil de la pièce fortement éclairée et décorée avec goût en quelques instants. Elle observa les lits un à un. Il y avait celui de la muse, à deux pas. De nombreux occupés, fermés par des rideaux, de tous les côtés. Et, au fond de la salle, le lit. Celui de Kalena. Il ne pouvait en être autrement, c'était une personne importante dans le fort, et appréciée des infirmières, des servantes et de tout le personnel, à défaut d'être la préférée de la haute noblesse.
Haute noblesse dont faisait parti la maire, désormais.

Depuis combien de temps les deux jeunes femmes ne s'étaient-elles pas vues ? Deux ans ? Peut-être plus. Depuis l'affectation de Kalena dans ce fort, sûrement. Comment allait-elle réagir en revoyant Floradel ? Serait-elle agressive ? Et elle-même, comment jugeait-elle sa cousine désormais ? Mal en point, en toutes circonstances. Floradel jugeait Kalena blessée, d'après les dires du conseil. Elle déglutit.
Prions pour que je ne sois pas le dernier visage qu'elle aie à voir dans ce monde.

Floradel inspira, expira, et s'avança sans ciller jusqu'au lit. Elle ouvrit le rideau pour y découvrir sa cousine allongée. Son abdomen avait apparemment pris fort, les bandages étaient imbibés de sang. Les mèches rousses de la convalescente étaient même encore collées du liquide vital séché, malgré les nombreux lavages auxquels les infirmières avaient du procéder.

-Bonjour, Kalena.

Étrangement, le ton condescendant, la nuance de pouvoir et de mesquinerie dans la voix de la maire avait disparu. C'est même presque doucement que les paroles furent prononcées. Aimablement.

Elle entendit les rideaux s'ouvrir mais garda les yeux fermés. Sans doute l'infirmière qui revenait pour lui changer ses pansements. Elle allait lui demander si ça allait, elle lui répondrait oui. Comme d'habitude, ce serait un mensonge, mais jamais la fière Mage ne s'abaisserait à se plaindre. J'ai enduré pire, pensa-t-elle avec amertume en se rappelant sa première (et heureusement dernière) confrontation avec les Mages Noirs.
Pourtant, ce ne fut pas la voix de l'infirmière qui vint frapper ses tympans.

"-Bonjour, Kalena."

Cette voix... Elle ouvrit immédiatement les yeux, pour découvrir sans surprise le visage de sa cousine.

"-Floradel..."

Elle laissa échapper ce nom d'une voix faible et sourde tandis que ses yeux fixaient la grande rousse en armure avec dureté, méchanceté même. Cela faisait des années qu'elles ne s'étaient vu qu'à de rares occasions, toujours officielles. Leurs rapports étaient corrects, cordiaux. Pourtant, la rancune que Kalena nourissait à l'égard de sa cousine n'avait jamais totalement disparue. Elle ne pouvait s'empêcher de se sentir piquée dès que son nom était prononcé, et ne supportait aucune forme de comparaison avec elle. On lui avait trop souvent dit qu'elles étaient différentes. Qu'elles n'étaient pas 'de la même trempe'. Qu'elle, Kalena, ne serait jamais à la hauteur de Floradel, la petite fille parfaite de la famille, la Maire d'Avoriaz, la fidèle servante des Mages Noirs, la fierté de la ville.
Et elle était là, sa cousine, debout elle, et en forme apparement avec qui plus est un léger sourire sur le visage.

Absolument insupportable.

"-Tu es venu me voir mourir, Flo? C'est trop aimable, mais il ne fallait pas te donner cette peine."

La voix de Kalena n'aurait pû être plus mesquine et valiponde. Elle n'était plus en état de réfléchir. La fatigue, la douleur, la rancune et la jalousie, tout remonta, se bloqua au fond de sa gorge et explosa, finallement.

"-Regarde moi, cousine, contemple mon corps brisé et inutile - ne le fut-il pas de toute éternité? - vois, vois un peu dans quel état je me trouve. N'est-ce pas...pitoyable? Et tout ça, oui, tout ça, c'est de TA FAUTE! De ta faute ô grande mairesse d'Avoriaz. Pendant que tu te prélassais dans ton palais d'or et de pourpre, ta pauvre Kalena se faisait transpercer par le fer de ces immondes rejets de l'enfer que sont les gobelins.
Ne t'es-tu pas demandé pourquoi ils ont subitement attaqués? Et un avant-poste d'Avoriaz qui plus est! Mais la réponse est pourtant limpide, Flo, ce sont tes chers Mages Noirs, oui, c'est de leur faute, DE LEUR FAUTE ET DE LA TIENNE! Tu nous as tous trahi Floradel, tous! Et moi d'abord! Ces chiens de Mages Noirs sont la seule cause de nos malheurs et toi tu leur mange dans la main! Tu me dégoûte..."

Kalena avait fixé sa cousine d'un regard où brûlait le feu de la haine durant toute sa tirade, et elle baissa enfin les yeux, dans une sincère déception.

"-Quand nous étions petites, je t'ai toujours admiré. Je t'aimais beaucoup, tu sais. Non tu n'le sais sûrement pas... Quelle importance pouvais-je avoir aux yeux d'une petite fille aussi parfaite que toi? Et puis il a fallu qu'Ils t'emmènent. J'ai bien essayé de te revoir, combien de fois n'ai-je pas tenté de forcer les entrées du palais pour venir te chercher et t'emmener avec moi loin, très loin, où nous aurions pu continuer nos jeux. C'est stupide, n'est-ce pas? Mais de toute façon, tu ignorais tout ça, tu m'as oublié facilement, avec tous ces cours, ces personnes importantes et les fastes du palais.
Je t'ai destesté pour cela, pour m'avoir abandonné, pour m'avoir toujours été supérieure, toujours préférée, pour t'être alliée avec ces ignobles Mages Noirs, je te DETESTE! JE TE DETESTE! JE TE HAIS!"

Kalena se tut, et se mit à sanglotter nerveusement, incontrôlablement.

"-Je te déteste..."Répéta-t-elle sans conviction, entre deux sanglots.

Les yeux perdus dans les marécages puants de son passé, elle attendit avec patience et soumission le moment inéluctable de sa fin. Mais elle ne craignait plus de mourir. Elle avait réglé ses comptes.
D'ailleurs, elle se sentit un peu honteuse, après coup. Tout ce dont elle avait accusée sa cousine n'était que pures gamineries, de vieilles rancunes puériles restées en travers de la gorge.
Une fois de plus, l'image d'une grande silhouette encapuchonnée vint hanter son esprit. Les Mages Noirs. C'étaient eux, c'étaient eux les responsables. C'étaient eux qui l'avaient séparés de Floradel, eux qui l'avaient brisée à l'âge de ses sept ans, eux encore qui répandaient la mort et la terreur sur le continent.
Dans une lucidité enfin retrouvée, elle comprit qu'elle s'était trompée d'ennemi.
Si par miracle sa cousine la laissait en vie après cela, elle se jura de passer sa vie à tenter de sauver l'âme de Floradel des terribles mages qui lui avaient volé son enfance.

Floradel n'avait jamais prévu les évènements avec justesse. Elle avait pour habitude d'improviser, et si elle trouvait les solutions ainsi, c'était car sa chance jouait un fort rôle, sous les astres. Habile en diplomatie, en politique, surtout grâce à sa manière peu commune de s'imposer, elle gérait les conflits facilement car elle ne s'impliquait pas dedans. Car les conflits, finalement, ne la touchaient pas.
Quand les émotions et les sentiments venaient alors se mêler aux problèmes, son coeur, si intouchable, s'ouvrait.
Jamais les decisions prises ainsi, n'aident ou ne font avancer, selon elle.

-Tu es venu me voir mourir, Flo? C'est trop aimable, mais il ne fallait pas te donner cette peine.

Je suis venue te voir vivre, aurait-elle répondue. Mais point commun famillial, et particulièrement désagréable, les Eni ne se donnaient jamais la parole. Autant Floradel ne répliqua pas, autant Kalena repartit de plus belle.

-Regarde moi, cousine, contemple mon corps brisé et inutile - ne le fut-il pas de toute éternité? - vois, vois un peu dans quel état je me trouve. N'est-ce pas...pitoyable? Et tout ça, oui, tout ça, c'est de TA FAUTE! De ta faute ô grande mairesse d'Avoriaz. Pendant que tu te prélassais dans ton palais d'or et de pourpre, ta pauvre Kalena se faisait transpercer par le fer de ces immondes rejets de l'enfer que sont les gobelins.
Je ne me prélassais pas.
-Ne t'es-tu pas demandé pourquoi ils ont subitement attaqués? Et un avant-poste d'Avoriaz qui plus est! Mais la réponse est pourtant limpide, Flo, ce sont tes chers Mages Noirs, oui, c'est de leur faute, DE LEUR FAUTE ET DE LA TIENNE!
Les Mages Noirs et les gobelins ?
-Tu nous as tous trahi Floradel, tous!
Et moi d'abord! Ces chiens de Mages Noirs sont la seule cause de nos malheurs et toi tu leur mange dans la main! Tu me dégoûte...
Je ne t'ai pas trahie, cousine... pas trahie.

Floradel déglutit avec difficulté. L'envie la démangeait de répondre de manière cinglante et expéditive, comme si Kalena aurait été un vulgaire général de combat comme Kley. Remplaçable, manipulable, finalement jetable. A la rue, Kalena. Mais non. C'était sa cousine, auquel elle portait encore une once d'amour et beaucoup d'amitié. Pour laquelle elle s'inquiétait à propos de sa santé, santé qui lui permettait d'élever la voix. De crier même. Santé physique apparente, finalement.

Mentalement, la blessure devait l'avoir affecté. Ce fut la première conclusion que Floradel posa. La seconde ne tarda pas.

-Quand nous étions petites, je t'ai toujours admiré. Je t'aimais beaucoup, tu sais. Non tu n'le sais sûrement pas... Quelle importance pouvais-je avoir aux yeux d'une petite fille aussi parfaite que toi? Et puis il a fallu qu'Ils t'emmènent. J'ai bien essayé de te revoir, combien de fois n'ai-je pas tenté de forcer les entrées du palais pour venir te chercher et t'emmener avec moi loin, très loin, où nous aurions pu continuer nos jeux. C'est stupide, n'est-ce pas? Mais de toute façon, tu ignorais tout ça, tu m'as oublié facilement, avec tous ces cours, ces personnes importantes et les fastes du palais.
Je t'ai détesté pour cela, pour m'avoir abandonné, pour m'avoir toujours été supérieure, toujours préférée, pour t'être alliée avec ces ignobles Mages Noirs, je te DETESTE! JE TE DETESTE! JE TE HAIS!

Ne pas faire confiance à quique ce soit sous le coup de la colère.
Le cœur de Floradel se resserra brutalement, la boule dans sa gorge grandit. Si extérieurement, elle paraissait aussi froide et désormais immobile qu'à son habitude, l'intérieur bouillonnait. De colère ? Non. De honte. De honte, non pas d'avoir fait ce qu'elle avait fait, car ce n'était pas à modifier ou à refaire. Non, honte de ne pas avoir fait la première chose qu'elle aurait du savoir faire.
Préserver sa famille.
Préserver Kalena.

-Je te déteste...

Que répondre ? Le sang afflua dans les tempes de l'Intendante, qui soupira longuement. Un soupir pour tenter de calmer son esprit, endolori par tant de violences.
La journée précédente avait été fournie. Des offices, peinants, avait suivi l'arrivée d'une messagère qui allait à la mort, vers les Mages Noirs. Une fillette, dans les quelques instants, qui s'y jetait volontairement. L'après-midi, une longue chevauchée épuisante. Tôt dans la matinée, elle avait vu les premiers cadavres de gobelins, secouant son idée et son jugement sur la sécurité d'Avoriaz et de son peuple. Peuple qu'elle aimait. Peuple à qui elle devait tout, et qui lui devait tout. Puis, la violence des combats, le sang répandu, les affreuses bêtes attaquant le fort. Les cadavres calcinés, les morts à la pelle sur les remparts, dans les cours. Au dessus du dégoût, elle parvenait à rester digne et continuer son travail. Ce pourquoi on croyait en elle. Administrer.
Désormais, le corps de Kalena, meurtri, gisait sur un lit d'infirmerie tandis que son esprit revêche et rancunier se lançait à l'assaut d'elle-même.
Que répondre ?

Floradel n'était pas en mesure de parler, autant sa voix trembla pendant sa réponse.

-Qu'il est facile d'haïr les absents. Qu'il est simple de me haïr moi, pour ce que j'ai fait ou n'ai pas fait. Qu'il est stupide de me haïr moi, en ignorant ce que je suis. Ce que tu es. Kalena. Je suis ta cousine. Je ne suis pas le mal, et ne pactise pas avec le diable. Les Mages Noirs ne sont pas le diable, par Luminia. Simplement une confrérie d'illuminés dont les pouvoirs font frémir le monde. Je ne suis pas vendue. Je ne mange pas dans leurs mains, comme tu le dis si bien.

L'Intendante baissa la voix, en même temps qu'elle s'agenouillait devant le lit. Elle détacha les sangles de son épaulette doucement, une par une, et fit glisser le métal pour découvrir son épaule nue. Grave entorse au protocole, mais l'heure n'était plus aux réjouissances de l'étiquette.

-Ceci est mon lien. Ceci est mon pacte. Ceci est mon échec et je le porte, si l'on peut dire, sur mes épaules chaque jour que je marche dans ma vie. J'ai donné mon essence pour servir une Confrérie dont je n'apprécie pas les méthodes, et qui me haït plus chaque semaine qui passe.

Le tatouage noir sur l'omoplate de la jeune femme fit frissonner une infirmière qui filait derrière, et, lâchant un gémissement presque plaintif, elle détala s'empresser de répandre la nouvelle. Nouvelle qui, sans que personne ne le sache encore, discréditerait Floradel peut-être à jamais.

-Si j'ai fait ce don à ces Mages, j'ai fait aussi un don à notre peuple. Ton peuple, le mien. Je les préserves de la Confrérie comme je le peux, et il y a moins d'initiés dans Avoriaz que dans les Grandes Rocheuses. Écoutes moi, Kalena. Je suis ta cousine, et je t'ai toujours aimé, malgré la distance. Ne t'es tu jamais demandé pourquoi tu exerçais tes pouvoirs si loin de notre cité ? Quel Mage Noir pourrait venir te chercher ici ?

Floradel fit une pause. Sentant doucement le dégoût et la peine s'apaiser, elle continua d'une voix encore plus basse.

-Kalena. Je ne suis pas le démon que tu crois. Cesses de me voir ainsi.

Leurs regards se croisèrent.

-S'il te plait.

Kalena attendit l'éclat, la colère, mais ne vinrent que des paroles tremblantes, emplies d'une douleur qu'elle ne lui connaissait pas.

"-Qu'il est facile d'haïr les absents. Qu'il est simple de me haïr moi, pour ce que j'ai fait ou n'ai pas fait. Qu'il est stupide de me haïr moi, en ignorant ce que je suis.
Stupide oui, Kalena en était consciente maintenant. Elle se mordit la lèvre inférieure, elle se sentait tellement ridicule...
Ce que tu es. Kalena. Je suis ta cousine. Je ne suis pas le mal, et ne pactise pas avec le diable. Les Mages Noirs ne sont pas le diable, par Luminia. Simplement une confrérie d'illuminés dont les pouvoirs font frémir le monde. Je ne suis pas vendue. Je ne mange pas dans leurs mains, comme tu le dis si bien."

Kalena garda le silence, plus parce qu'elle ne pouvait pas parler à cause de la boule qui lui nouait la gorge que par réelle envie. Elle aurait voulu effacer ses dernières paroles, effacer ce qui allait peut-être mettre fin aux dernières chances de réconciliation des deux cousines, effacer cet horrible 'je te déteste' qui résonnait dans son crâne comme un châtiment. Comment Floradel pourrait-elle lui pardonner ces mots si durs?
Pourtant, à sa grande surprise, la maire se mit à genoux et commença à détacher ses épaulettes. Que faisait-elle?
La réponse ne se fit pas attendre. Désignant un marque sur son dos, sa cousine lui révéla quelque chose d'effroyable.

"-Ceci est mon lien. Ceci est mon pacte. Ceci est mon échec et je le porte, si l'on peut dire, sur mes épaules chaque jour que je marche dans ma vie. J'ai donné mon essence pour servir une Confrérie dont je n'apprécie pas les méthodes, et qui me haït plus chaque semaine qui passe."

Un tatouage noir, horrible, lui recouvrait l'omoplate de sa forme représentant grossièrement une croix entourée d'un cercle. Le signe des Mages Noirs. Kalena en frémit de fureur rien qu'en le voyant.
Sa cousine n'était donc finallement qu'une victime. Une de plus. Sa haine envers les Mages Noirs grandit encore s'il était possible.

"-Si j'ai fait ce don à ces Mages, j'ai fait aussi un don à notre peuple. Ton peuple, le mien. Je les préserves de la Confrérie comme je le peux, et il y a moins d'initiés dans Avoriaz que dans les Grandes Rocheuses. Écoutes moi, Kalena. Je suis ta cousine, et je t'ai toujours aimé, malgré la distance. Ne t'es tu jamais demandé pourquoi tu exerçais tes pouvoirs si loin de notre cité ? Quel Mage Noir pourrait venir te chercher ici ?"

Alors c'était pour ça... Kalena sentit la boule au fond de sa gorge grossir et les larmes sur le bord des yeux, elle regarda sa cousine, implorant son pardon des yeux. Elle n'avait fait que la protéger, et pour tout remerciement, elle recevait de la haine et du mépris. Oh! Comme elle s'en voulait d'avoir été si sotte!

"-Kalena. Je ne suis pas le démon que tu crois. Cesses de me voir ainsi."

Leurs regards se croisèrent.

"-S'il te plait."

"-Je...J'ignorais tout ça Floradel. Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé? Pendant toutes ces années j'ai cru... J'ai cru que tu étais alliée avec les Mages Noirs alors que tu n'essayais que de faire de ton mieux. Je ne savais pas... Je ne savais pas. Pourras-tu me pardonner?"

Kalena tendit un bras pâle et alla toucher du bout des doigts l'affreux tatouage.

"-Ma pauvre cousine... Qu'ont-ils fait, qu'ont-ils fait de nous?"

Brusquement, le ton de Kalena changea, sa voix était plus déterminée, plus claire.

"-Il me faut un médecin, un mage, n'importe qui capable ed me rétablir rapidement. Cela fait trop longtemps que je suis au lit, je ne me suis que trop reposée. Keiter à besoin de tous ses enfants pour combattre les maux qui l'accable."

La Kalena combative et combatante venait de refaire surface. Plus question de se laisser mourir. Elle n'avait pas fini de jouer son rôle sur cette terre.

-Je...J'ignorais tout ça Floradel. Pourquoi ne m'en as-tu jamais parlé? Pendant toutes ces années j'ai cru... J'ai cru que tu étais alliée avec les Mages Noirs alors que tu n'essayais que de faire de ton mieux. Je ne savais pas... Je ne savais pas. Pourras-tu me pardonner?

Les nerfs de Floradel se relâchèrent un instant. La rancœur n'était-elle due qu'à l'absence prolongée ? L'Intendante se prit à espérer que sa cousine ne lui en voulait pas de ne pas avoir été là. Sa cousine... le mot résonna...

-Je peux te pardonner. Je n'ai pas été un ange pour autant.
-Ma pauvre cousine... Qu'ont-ils fait, qu'ont-ils fait de nous?

La question resta en suspens dans l'esprit de Floradel. Qu'avaient-ils fait d'eux ? Qu'étaient-elles devenues, maintenant ? Une infirme et une soumise ? Non, sûrement pas.

-Il me faut un médecin, un mage, n'importe qui capable de me rétablir rapidement. Cela fait trop longtemps que je suis au lit, je ne me suis que trop reposée. Keiter à besoin de tous ses enfants pour combattre les maux qui l'accable.

La maire plongea son regard dans les pupilles de sa liée. Liée par le sang, par l'amitié, par le royaume tant par la douleur. Voilà ce qu'elles étaient devenues. Deux fières combattantes, pour leur terres, pour leur royaume. Pour leur vie. Comment avait-elle pu ignorer Kalena tout ce temps ? Elle l'avait exilé pour la protéger d'un danger qui, finalement, était venu tout de même. Elle l'avait isolée pour mieux l'aider. Aurait-elle du ne pas agir sur sa destinée ? Avait-elle le droit de choisir pour les autres ? Pour le bonheur des autres ?
Qu'importait maintenant. Elle ne referait plus d'erreurs ainsi.

-Je peux dissiper ta douleur au prix d'un effort difficile, le temps de te lever et de marcher un peu. Les infirmières sont dévouées et habiles, tu devrais te rétablir rapidement.

Floradel laissa son regard divaguer sur la blessure de sa cousine. Elle n'en était pas si sûre. Kalena devait avoir perdu beaucoup de sang, et l'endroit touché devait être gênant pour marcher. Combien de jours faudrait-il attendre ?

-Tu te sens comment ? Infirmière !

Quand Floradel lui dit qu'elle pouvait peut-être l'aider à aller mieux, voire à marcher, Kalena reprit vraiment espoir. Elle allait enfin pouvoir sortir de cette pièce blanche et austère qui commencait à sérieusement lui taper sur les nerfs.

"-Tu te sens comment ? Infirmière ! " Appela Floradel.
Kalena eut un rire forcé.
"-Je me sens comme un nourisson de deux mois. Totalement incapable de faire quoi que ce soit, une totale assistée. Et crois-moi, ça n'a absolument rien d'agréable."

La tension des quelques instants précédents était totalement retombée, et la rousse infirme avait encore du mal à croire en la réalité de la situation. C'était comme si elle venait d'effectuer un bond de quinze ans en arrière, comme un rêve.
Elle regarda sa cousine. Elles avaient grandi, chacune de leur côté, elles avaient changé, bien sûr.
Mais cela ne comptait plus. Peu importe les années passées, les vieilles rancoeurs finallement injustifiées, tout cela était fini. Maintenant, les deux jeunes femmes s'étaient retrouvées et ne commettrai à coup sûr plus les mêmes erreurs.
Un sourire paisible s'installa sur le visage de Kalena. Elle avait retrouvé sa paix intérieure.

Une infirmière entra timidement, en se tordant les doigts. Elle avait l'air extrêmement gênée d'être là. Plutôt étrange, comme réaction. Elle s'approcha d'un pas tremblant, et prononça un faible " Oui, Dame Keeha?" en prenant bien soin de ne pas la regarder.

-Je me sens comme un nourisson de deux mois. Totalement incapable de faire quoi que ce soit, une totale assistée. Et crois-moi, ça n'a absolument rien d'agréable.

-On va vite te guérir. Promis.

-Oui, Dame Keeha ?

-Dame Dare est-elle en mesure de se lever ? Sera-t-elle remise rapidement ?

-Je... eh bien, elle peut se lever et bouger malgré sa douleur, mais elle ne doit pas faire d'efforts brusques et...

-Bien. Merci.

L'infirmière s'en alla sur la pointe des pieds, tentant de se faire plus petite qu'une souris. Floradel ne dénota pas le ton faible et, finalement, presque apeuré qu'elle avait eu, et se releva.

-Donc tu es sur pieds dès maintenant ! Il suffit de charger quelqu'un de t'accompagner partout et de te servir de marche-pied, comme une vraie noble. Je vais aviser quelqu'un.

L'Intendante sourit en regardant sa cousine. Une vague de chaleur inonda son corps. Sa famille, qu'elle avait quitté il y a bien longtemps maintenant pour prendre le chemin des affaires, lui pardonnait l'ignorance de toutes ses années. Kalena en était la parfaite métaphore. Blessée, mais fière. N'implorant d'aide, et pourtant, reconnaissante d'être soutenue. Du moins en apparence. Ce n'était pas les gobelins qui empêcherait les Eni de se retrouver.
Une voix d'homme, forte et autoritaire interrompit Floradel dans sa contemplation presque béate.

-Dame Keeha, les troupes sont arrivées, on vous demande dans la Haute... et les paroles s'étranglèrent dans la gorge du soldat. Son regard resta figé sur le tatouage significatif de l'Intendante qui se retourna et le dévisagea. Instinctivement, elle remonta le tissu et le métal le long de son épaule, ce qui eu pour effet de rendre à l'homme ses capacités oratoires ... Haute Cour. Je... nous... C'est tout.
Et il sortit brusquement. L'air de Floradel se renfrogna en un instant.

-Kalena, je crois qu'il est temps de te lever. Je vais avoir besoin de toi...

"-Je... eh bien, elle peut se lever et bouger malgré sa douleur, mais elle ne doit pas faire d'efforts brusques et... "
L'infirmière tremblante ne se doutait pas de la valeur des mots qu'elle venait de prononcer.
Je peux marcher...Je peux me battre!
Kalena eut un sourire soulagé et ravi. Perdre ses fonctions motrices l'effrayait bien plus qu'elle ne voulait le montrer.
L'infirmière quitta rapidement la pièce, et un homme entra à sa place.

"-Dame Keeha, les troupes sont arrivées, on vous demande dans la Haute... et les paroles s'étranglèrent dans la gorge du soldat. Son regard resta figé sur le tatouage significatif de l'Intendante qui se retourna et le dévisagea. Instinctivement, elle remonta le tissu et le métal le long de son épaule, ce qui eu pour effet de rendre à l'homme ses capacités oratoires ... Haute Cour. Je... nous... C'est tout."

Et il sortit brusquement. L'air de Floradel se renfrogna en un instant.
Apparement, cette marque était encore plus grave que ce que Kalena avait pu imaginer. Elle semblait inspirer une terreur indicible à tous ceux qui posaient les yeux dessus.

"-Kalena, je crois qu'il est temps de te lever. Je vais avoir besoin de toi..."

La jeune femme opina du chef. Il était grand temps. Elle se posa sur les coudes et tenta de se relever. Une vague de douleur lui transperça le dos jusqu'aux reins et elle réprima de justesse un hurlement, ne laissant sortir de ses lèvres qu'un gémissement plaintif.

"-Je crois que je vais avoir besoin de toi aussi..."

Soutenue par sa cousine, elle parvint à se mettre en position assise, puis à sortir ses jambes du lit. Ce simple effort l'avait couverte de sueur et elle avait la respiration haute. Refusant d'échouer si près du but, elle se mordit la lèvre et, s'appuyant sur l'épaule de Floradel, se leva. Ses genoux étaient ankylosés après une trop longue inaction mais elle tint le coup.
Bien que son corps fut entièrement courbaturé et douloureux, un sourire victorieux s'affichait sur son visage.
Elle fit quelques pas maladroits, toujours accrochée à l'épaule de Floradel. Elle ne se souvenait pas qu'il fut si dur de marcher droit! Toujours très lentement, elle fit quelques flexions et remua les orteils, sentant petit à petit revenir l'équilibre.
Quand elle se sentit prête, elle fit quelques mètres seule, mais elle avait encore un peu de mal et son dos douloureux la fatiguait. Résignée, elle dut accepter d'être supporté dans les premiers temps, tant pis pour la fierté.
Un domestique fut appelé et quelques minutes plus tard, on lui amenait des béquilles.

"-Bien, ne faisons pas attendre plus longtemps ces messieurs. Il me semble que tu es demandé dans la Haute Cour."

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